30/09/2019
La Cour européenne de Justice, le 1er octobre 2019 (C-616/17), saisie d'une question préjudicielle du tribunal correctionnel de Foix qui s'interrogeait sur la conformité du règlement 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques au principe de précaution, n'a relevé aucun élément affectant la validité de ce règlement. Elle a considéré que le règlement, en ce qu'il
- impose des obligations pesant sur le demandeur relatives à l’identification des substances actives entrant dans la composition du produit phytopharmaceutique visé par sa demande d’autorisation,
- prend en compte des effets cumulés des différents composants d’un produit phytopharmaceutique avant que sa mise sur le marché ne soit autorisée,
- prévoit que les essais, les études et les analyses nécessaires aux procédures d’approbation d’une substance active et d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sont fournis par le demandeur, sans exiger de manière systématique la réalisation d’une contre-analyse indépendante,
- assure l’accès du public aux éléments des dossiers de demande pertinents pour apprécier les risques résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique,
n'est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation sur l’application du principe de précaution.
Cependant la Cour souligne à de multiples reprises qu'il appartient aux autorités compétentes de faire un application correcte de ces dispositions, laissant entendre que si la règle n'est pas contestable, ses modalités de mise en œuvre pourraient l'être.
Le litige
Le 27 septembre 2016, M. Blaise et vingt autres personnes se sont introduits dans des magasins situés dans le département de l’Ariège (France) et ont dégradé des bidons de désherbants contenant du glyphosate ainsi que des vitrines en verre.
Ces faits ont conduit à l’engagement, à l’encontre de ces personnes, de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Foix (France), du chef de dégradation ou détérioration d’un bien d’autrui commise en réunion. Devant cette juridiction, les prévenus ont invoqué l’état de nécessité et le principe de précaution, en faisant valoir que leurs agissements avaient pour but d’alerter les magasins concernés et leur clientèle sur les dangers liés à la commercialisation, sans avertissements suffisants, de désherbants contenant du glyphosate, d’empêcher cette commercialisation et de protéger la santé publique ainsi que leur propre santé.
Afin de se prononcer sur le bien-fondé de cet argument, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’aptitude de la réglementation de l’Union à assurer pleinement la protection des populations et estime, dès lors, devoir statuer sur la validité du règlement 1107/2009 au regard du principe de précaution.
Le tribunal correctionnel de Foix a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le règlement 1107/2009 est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il omet de définir précisément ce qu’est une substance active, laissant le soin au pétitionnaire de choisir ce qu’il dénomme substance active dans son produit, et lui laissant la possibilité d’orienter l’intégralité de son dossier de demande sur une substance unique alors que son produit fini commercialisé en comprend plusieurs ?
2) Le principe de précaution et l’impartialité de l’autorisation de commercialisation sont-ils assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires pouvant être partiaux dans leur présentation, sans aucune contre-analyse indépendante et sans que soient publiés les rapports de demandes d’autorisation sous couvert de protection du secret industriel ?
3) Le règlement 1107/2009 est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il ne tient aucun compte des pluralités de substances actives et de leur emploi cumulé, en particulier lorsqu’il ne prévoit aucune analyse spécifique complète au niveau européen des cumuls de substances actives au sein d’un même produit ?
4) Le règlement 1107/2009 est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il dispense en ses chapitres 3 et 4 d’analyses de toxicité (génotoxicité, examen de carcinogénicité, examen des perturbations endocriniennes...), les produits pesticides dans leurs formulations commerciales telles que mises sur le marché et telles que les consommateurs et l’environnement y sont exposés, n’imposant que des tests sommaires toujours réalisés par le pétitionnaire ? »
Le contrôle juridictionnel de la Cour
Il y a lieu de préciser que, en raison de la nécessité de la mise en balance de plusieurs objectifs et principes, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères pertinents, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de savoir si le législateur de l’Union, en adoptant le règlement 1107/2009, a commis une erreur d’appréciation manifeste au regard du respect du principe de précaution.
Partant, dans la mesure où la juridiction de renvoi considère que les règles générales établies par ce règlement elles-mêmes ne remplissent pas les exigences découlant du principe de précaution, il convient d’examiner ses critiques afin de déterminer si celui-ci est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
Sur l’identification des substances actives d’un produit phytopharmaceutique
Il ressort de l’article 2, paragraphe 2, du règlement1107/2009 que les substances, y compris les micro-organismes, exerçant une action générale ou spécifique sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux, doivent être considérées comme étant des substances actives, au sens de ce règlement.
Il découle de l’article 33 dudit règlement qu’il appartient au demandeur souhaitant mettre un produit phytopharmaceutique sur le marché d’introduire une demande d’autorisation comprenant les informations nécessaires au traitement de cette demande. En particulier, l’article 33, paragraphe 3, sous b), du même règlement prévoit que doivent notamment être joints à la demande d’autorisation d’un tel produit, pour chaque substance active contenue dans ledit produit, un dossier complet et un dossier récapitulatif pour chaque point des exigences en matière de données applicables à la substance active. Les informations fournies doivent être suffisantes pour identifier précisément chaque substance active et en définir les spécifications et la nature.
Il s’ensuit que le demandeur est tenu de faire état, lors de l’introduction de sa demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de toute substance entrant dans la composition de ce produit qui répond aux critères énoncés à l’article 2, paragraphe 2, du règlement 1107/2009, de sorte que, contrairement à ce qu’envisage la juridiction de renvoi, il ne dispose pas de la faculté de choisir discrétionnairement quel composant dudit produit doit être considéré comme étant une substance active aux fins de l’instruction de cette demande. Le titulaire d’une autorisation portant sur un produit phytopharmaceutique, qui n’aurait pas, dans sa demande d’autorisation, mentionné l’ensemble des substances actives contenues dans celui-ci, s’exposerait à ce que cette autorisation lui soit retirée.
Sur la prise en compte des effets cumulés des composants d’un produit phytopharmaceutique
Le règlement 1107/2009 prévoit à la fois une procédure d’approbation des substances actives, régie par son chapitre II, et une procédure d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, régie par son chapitre III. Ces deux procédures sont étroitement liées, dans la mesure notamment où l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique présuppose, en vertu de l’article 29, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, que ses substances actives aient déjà été approuvées. Le législateur de l’Union a imposé la prise en compte des effets potentiels du cumul des divers composants d’un produit phytopharmaceutique aussi bien lors de la procédure d’approbation des substances actives que lors de celle d’autorisation des produits phytopharmaceutiques.
Il résulte de l'analyse à laquelle s'est livrée la Cour que, contrairement à la prémisse sur laquelle se fonde le doute de la juridiction de renvoi, les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit.
Par conséquent, il n’y a pas lieu de considérer que le règlement 1107/2009 est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il ne prévoirait pas suffisamment la prise en compte des effets cumulés des différents composants d’un produit phytopharmaceutique avant que sa mise sur le marché ne soit autorisée.
Sur la fiabilité des essais, des études et des analyses pris en compte en vue de l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique
La juridiction de renvoi se demande si la circonstance que les essais, les études et les analyses nécessaires aux procédures d’approbation d’une substance active et d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sont fournis par le demandeur, sans contre-analyse indépendante, est contraire au principe de précaution, en tant qu’elle impliquerait que ces essais, ces études et ces analyses pourraient être partiaux.
Il résulte, certes, de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement 1107/2009 que les essais, les études et les analyses nécessaires pour permettre l’approbation d’une substance active doivent être fournies par le demandeur. Il en va de même dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique.
Ces règles constituent le corollaire du principe selon lequel il appartient au demandeur d’apporter la preuve que la substance active ou le produit phytopharmaceutique visé par une demande d’approbation ou d’autorisation satisfont aux critères posés à cet effet par le même règlement.
Cette obligation contribue au respect du principe de précaution en assurant que l’absence de nocivité des substances actives et des produits phytopharmaceutiques n’est pas présumée.
En outre, il ne saurait être considéré que le cadre normatif défini par le règlement no 1107/2009 permette au demandeur de soumettre des essais, des études et des analyses partiaux afin d’obtenir, sur leur base, l’approbation d’une substance active ou l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique.
À cet égard, il importe, en premier lieu, de souligner que le législateur de l’Union a entendu encadrer la qualité des essais, des études et des analyses produits à l’appui d’une demande fondée sur ce règlement.
En deuxième lieu, il convient de rappeler que l’État membre saisi d’une demande doit procéder à une évaluation indépendante, objective et transparente de cette demande à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, tandis que l’Autorité doit se prononcer compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques.
En troisième lieu, force est de constater que diverses dispositions du règlement no 1107/2009 contribuent à garantir que l’appréciation portée par les autorités compétentes peut s’appuyer sur d’autres éléments que les seuls essais, analyses et études produits par le demandeur.
En quatrième lieu, il ressort de l’article 21, paragraphes 1 et 3, du règlement 1107/2009 que la Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment, notamment, lorsque, compte tenu de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, il y a des raisons de penser que la substance ne satisfait plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 de ce règlement. De même, il découle de l’article 44, paragraphes 1 et 3, dudit règlement que l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique peut être réexaminée puis modifiée voire retirée lorsque, notamment, il apparaît de l’évolution des connaissances scientifiques et techniques que ledit produit n’est pas ou n’est plus conforme aux exigences requises pour une autorisation de mise sur le marché prévues à l’article 29 du même règlement, notamment à celle relative à l’absence d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il n’apparaît pas que le règlement 1107/2009 soit entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il prévoit que les essais, les études et les analyses nécessaires aux procédures d’approbation d’une substance active et d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sont fournis par le demandeur, sans exiger de manière systématique la réalisation d’une contre-analyse indépendante.
Sur la publicité du dossier de demande d’autorisation
La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité avec le principe de précaution de la confidentialité dont bénéficierait le dossier déposé par le demandeur dans le cadre des procédures instituées par le règlement 1107/2009.
À cet égard, s’il ne saurait être exclu que le renforcement de la transparence de ces procédures soit de nature à permettre une meilleure évaluation encore du risque pour la santé résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique, en permettant au public intéressé d’avancer des arguments s’opposant à l’octroi de l’approbation ou de l’autorisation sollicitée par le demandeur, il y a lieu, en tout état de cause, de constater que ce règlement permet, dans une large mesure, l’accès du public au dossier déposé par le demandeur.
Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le régime mis en place par le législateur de l’Union pour assurer l’accès du public aux éléments des dossiers de demande pertinents pour apprécier les risques résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
Sur la dispense alléguée d’études de carcinogénicité et de toxicité aux fins de la procédure d’autorisation
La juridiction de renvoi estime que le règlement 1107/2009 impose seulement au demandeur la réalisation de tests sommaires du produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation et qu’il le dispense de procéder à des tests de carcinogénicité et de toxicité à long terme. Partant, elle s’interroge sur le point de savoir si ce régime est compatible avec le principe de précaution.
Le règlement ne prévoit pas de manière détaillée la nature des essais, des analyses et des études auxquels les produits phytopharmaceutiques doivent être soumis avant de pouvoir bénéficier d’une autorisation.
Néanmoins, il ne saurait être conclu que le règlement 1107/2009 dispense le demandeur de fournir des tests de carcinogénicité et de toxicité à long terme portant sur le produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation.
Il incombe donc aux autorités compétentes, lors de l’examen de la demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de vérifier que les éléments présentés par le demandeur, au premier rang desquels figurent les essais, les analyses et les études du produit, sont suffisants pour écarter, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, le risque que ce produit présente une telle carcinogénicité ou toxicité. Dans ce contexte, les « tests sommaires » mentionnés par la juridiction de renvoi ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’examen de celles-ci n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement 1107/2009.