Droit de la santé publique animale et végétale
Droit de la santé publique animale et végétale
Jurisprudences relatives à la santé végétale

L'application du principe de précaution

14/01/2019

Le tribunal administratif de Lyon, par jugement du 15 janvier 2019 (1704067), a annulé la décision de l'ANSES du 6 mars 2017 autorisant la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la SAS Monsanto au motif que l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement.

1 - L’autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Typhon, dont est titulaire la SAS Adama France, a été renouvelée le 9 février 2009 par le ministre de l’agriculture après une procédure d’évaluation des risques. La SAS Monsanto a déposé le 18 mai 2016 une demande d’autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360. Par une décision du 7 novembre 2016, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché du Roundup Pro 360. Le même jour, elle a informé la société Monsanto de son intention de modifier cette décision pour tenir compte de la mise à jour de la classification du Typhon. Par une décision du 6 mars 2017, l’ANSES a retiré sa décision du 7 novembre 2016 et autorisé la mise sur le marché du Roundup Pro 360 au motif de sa composition strictement identique à celle du produit Typhon, déjà autorisé. Le Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) demande l’annulation de cette décision.

 

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5 - Aux termes de l’article 1er de la Charte de l’environnement : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et aux termes de l’article 5 de cette charte : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».


6 - Les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, sont relatives au principe de précaution. Elles n'appellent pas de dispositions législatives et réglementaires précisant les modalités de mise en œuvre de ce principe. Elles s'imposent donc aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Il résulte des dispositions des articles 1er et 5 de la Charte de l'environnement ainsi que de l'article L. 110-1 du code de l'environnement que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.


7 - En premier lieu, le CRIIGEN fait valoir que le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a estimé que le glyphosate était probablement cancérogène pour les hommes eu égard notamment aux résultats des expériences animales, ce qui correspond à une classification 1B au sens du règlement n°1272/2008. Si la SAS Monsanto soutient qu’il s’agit d’une étude isolée, la monographie produite par le CIRC passe en revue l’ensemble de la littérature scientifique et a été menée par des scientifiques reconnus et identifiés, à partir de dizaines d’études publiées. La SAS Montsanto soutient que le CIRC ne disposait pas de toutes les études soumises à la commission européenne. Toutefois le CIRC s’est fondé sur l’ensemble des études scientifiques préexistantes, c'est-à-dire les études publiées dont les données brutes sont accessibles, les auteurs connus et les conclusions vérifiables par la communauté scientifique. La seule circonstance qu’une étude postérieure à la revue de littérature du CIRC n’a pas trouvé de corrélation, du moins à un niveau statistiquement significatif, entre utilisation de pesticides à base de glyphosate et cancer chez l’homme ne suffit pas à remettre en cause la monographie du CIRC. De plus, l’avis de l’ANSES du 9 février 2016 relatif à l’étude du CIRC conclut qu’ « au vu du niveau de preuve limité, la classification en catégorie 2 peut se discuter sans que l’agence puisse se prononcer sur ce point en l’absence d’une analyse détaillée de l’ensemble des études. ». Si l’étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ne classe le glyphosate ni en catégorie 1B, ni même en catégorie 2 « Substances suspectées d'être cancérogènes pour l'homme », l’EFSA explique sa différence de classification du glyphosate avec le CIRC par le fait que ce dernier s’est intéressé à la fois au glyphosate et aux préparations en contenant. L’EFSA admet ainsi que les données scientifiques disponibles permettent de penser que certaines préparations contenant du glyphosate sont probablement cancérogènes sans que la substance active le soit. L’ANSES soutient qu’il ne suffit pas qu’une substance active soit cancérogène pour que le produit le soit. Toutefois le glyphosate représente 41,5% de la préparation Roundup Pro 360 et en constitue la substance active. En outre, le niveau acceptable d’exposition pour l’opérateur, les personnes présentes et les travailleurs retenu par l’avis de l’ANSES du 30 décembre 2008 relatif au Typhon est fondé sur les doses journalières admissibles de glyphosate acide et non sur une analyse de la préparation Typhon. Le caractère cancérogène du Typhon, de composition chimique identique au Roundup Pro 360 n’a ainsi pas été étudié dans cet avis.


8 - Eu égard aux études scientifiques produites par les parties, à la synthèse critique effectuée par le CIRC concernant le glyphosate, à la position de l’EFSA admettant que les préparations à base de glyphosate peuvent être cancérogènes sans que le principe actif le soit, et à l’absence d’étude produite par l’ANSES permettant d’établir que le Roundup Pro 360 n’est pas cancérogène, ce produit doit être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l'être humain est supposé eu égard aux données animales.


9 - En deuxième lieu, la toxicité pour la reproduction du Typhon, produit identique au Roundup Pro 360, n’est pas étudiée dans l’avis de l’ANSES du 30 décembre 2008. Si la fiche de sécurité du Roundup Pro 360 indique que des effets sur la reproduction et le développement chez les rats ont été observés seulement en présence de toxicité maternelle significative, l’EFSA, dans sa revue par les pairs du 12 novembre 2015 propose de ne pas classer le glyphosate comme toxique pour la reproduction mais indique que : « des effets négatifs [du glyphosate] sur la reproduction (…) ne peuvent complètement être exclus. », eu égard notamment aux résultats de certaines études. En outre, le rapport de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) intitulé « Pesticides / Effets sur la santé », issu d’une expertise collective, indique qu’une étude fondée sur les résultats d’une cohorte rétrospective fait état d’un lien présumé entre glyphosate et morts fœtales. Eu égard à ces éléments, qui concernent le glyphosate, et en l’absence d’éléments suffisants concernant le Roundup Pro 360, le CRIIGEN est fondé à soutenir que le Roundup Pro 360 est une « substance suspectée d'être toxique pour la reproduction humaine ».


10 - En troisième lieu, l’annexe VI du règlement n°1272/2008 classe le glyphosate dans la catégorie H411 « toxique pour les organismes aquatiques. Entraine des effets néfastes à long terme. » et la fiche de sécurité du Roundup Pro 360 indique que le composé d’ammonium quaternaire a une « toxicité chronique aquatique ». Le glyphosate représente 41,5% de la préparation Roundup Pro 360 et en constitue la substance active, tandis que le composé d’ammonium quaternaire en représente 9,5%. Si l’ANSES allègue qu’il ne suffit pas que la substance active soit toxique pour les organismes aquatiques pour que la préparation le soit, il résulte au contraire de l’avis de l’ANSES relatif au produit Typhon que « ces résultats montrent que la préparation présente une toxicité plus importante que le glyphosate lui-même (…) soit un facteur 12 entre ces deux données. ». Cet avis conclut que le Typhon doit être classé comme « toxique pour les organismes aquatiques ». Par suite le Roundup Pro 360, de composition chimique identique au Typhon, est également nettement plus « toxique pour les organismes aquatiques » que le glyphosate.


11 - Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le Roundup Pro 360 est probablement cancérogène pour l’homme eu égard notamment au résultat des expériences animales, est une « substance suspectée d'être toxique pour la reproduction humaine » au regard des expériences animales et est particulièrement toxique pour les organismes aquatiques. Dès lors, malgré les précautions d’emploi fixées par la décision attaquée, qui préconise un délai minimal de 7 à 21 jours entre le traitement des cultures et la récolte et une distance de sécurité de cinq mètres pour les zones aquatiques adjacentes non traitées, l’utilisation du Roundup Pro 360, autorisée par la décision attaquée, porte une atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Par suite l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Roundup Pro 360 malgré l’existence de ce risque.