Droit de la santé publique animale et végétale
Droit de la santé publique animale et végétale
Jurisprudences relatives à la santé végétale

Distances d'épandage des produits phytopharmaceutiques

13/02/2020

Dans la suite des jurisprudences d'août et novembre 2019 sur les pouvoirs du maire en matière d'épandage de produit phytopharmaceutiques, un collectif de maires a saisi le Conseil d’État à propos de la légalité d'une part du décret 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et, d’autre part, de l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en ce qu'il impose des distances minimales de sécurité lors des épandages.

Par ordonnance du 14 février 2020 (437814), le Conseil d’État a considéré que l'urgence requise pour statuer sur cette demande en référé n'était pas établie.

A l'appui de leur demande, le collectif des maires antipesticides soutient que :la condition d’urgence est remplie dès lors, en premier lieu, que la toxicité non contestée des pesticides impose l’adoption de mesures garantissant la sécurité des riverains et, en second lieu, que la règlementation contestée fait obstacle à l’exercice de la compétence des maires pour prendre au titre de leur pouvoir de police générale les mesures nécessaires à la protection des populations.

 

Considérant ce qui suit ;

(.../...)

6. L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

 

Sur le décret du 27 décembre 2019 :

7. Le décret du 27 décembre 2019 a été pris pour l’application des dispositions citées ci-dessus du III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime. Il a pour objet de fixer le contenu des chartes d’engagements des utilisateurs que prévoient ces dispositions ainsi que leurs modalités d’élaboration et d’approbation. Pour justifier de l’urgence qui s’attacherait à suspendre l’exécution de ce décret, le collectif requérant se borne à invoquer, d’une part, le risque que posent les pesticides en matière de la santé publique et, d’autre part, la nécessité pour les maires d’exercer leur pouvoir de police générale afin de protéger les populations de ces risques. En déterminant seulement le contenu et les modalités d’élaboration de chartes d’engagements des utilisateurs, qui ne sauraient en tout état de cause avoir d’incidence sur ces intérêts que lorsqu’elles seront adoptées, le décret contesté ne saurait cependant porter atteinte de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts ainsi invoqués pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, son exécution soit suspendue.

 

Sur l’arrêté du 27 décembre 2019 :

8. L’arrêté contesté modifie l’arrêté du 4 mai 2017 partiellement annulé par la décision du 26 juin 2019 du Conseil d’État statuant au contentieux. Il insère dans cet arrêté des article 14-1 et 14-2 qui, en l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné, imposent des distances de sécurité minimales pour les traitements avec un produit phytopharmaceutique des parties aériennes des plantes qui sont réalisés à proximité notamment des habitations. Ces distances sont fixées à :

- 20 mètres pour les produits présentant une des mentions de danger suivantes : H300, H310, H330, H331, H334, H340, H350, H350i, H360, H360F, H360D, H360FD, H360Fd H360Df, H370, H372, ou contenant une substance active considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l'homme ;
- 10 mètres pour les autres produits lorsqu’ils sont utilisés pour l'arboriculture, la viticulture, les arbres et arbustes, la forêt, les petits fruits et cultures ornementales de plus de 50 cm de hauteur, les bananiers et le houblon ;
- 5 mètres pour les autres utilisations agricoles et non agricoles.

Le II de l’article 14-2 inséré par l’arrêté contesté dans l’arrêté du 4 mai 2017 prévoit que ces distances peuvent être adaptées lorsque le traitement est réalisé à proximité des lieux mentionnés au III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime et que des mesures apportant des garanties équivalentes en matière d'exposition des résidents par rapport aux conditions normales d'application des produits sont mises en œuvre conformément à des chartes d'engagements approuvées par le préfet. L’annexe 4 prévoit dans ce cas des distances de sécurité minimales dérogatoires de 3 à 5 mètres selon les cultures et le niveau de réduction de la dérive.

 

9. Si le collectif requérant demande la suspension de l’arrêté du 27 décembre 2019, il résulte cependant de l’ensemble de ses écritures, comme des indications fournies par ses représentants lors de l’audience de référé, que ses conclusions doivent être regardées comme tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté dans la seule mesure où les distances minimales de sécurité qu’il fixe seraient insuffisantes pour garantir le respect du principe de précaution et des dispositions du droit de l’Union européenne qu’il invoque et assurer l’exécution de la décision n° 415426 du 26 juin 2019 du Conseil d’État statuant au contentieux.

 

10. Pour établir l’urgence qui s’attache à la suspension qu’il demande, le collectif requérant invoque, en premier lieu, le risque pour la santé qui est inhérent à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Ce risque n’est pas contesté par l’administration et fonde l’ensemble de la réglementation européenne et française en la matière, y compris les mesures de protection prévues par l’arrêté attaqué, que le collectif requérant critique comme insuffisantes. Les éléments avancés sur les dangers de ces produits par le collectif requérant, quel que soit leur bien fondé, ne peuvent dès lors justifier de l’urgence à suspendre comme insuffisantes les mesures établissant des distances minimales de sécurité, que s’ils sont assortis d’éléments de nature à démontrer le risque qui s’attache à l’insuffisance de ces distances minimales pour les personnes concernées. Pour justifier d’un tel risque, le collectif requérant se borne à critiquer de manière très générale les distances de 5, 10 et 20 mètres et les dérogations qui peuvent y être apportées, en indiquant que de telles distances ne peuvent sérieusement être regardées comme satisfaisant à l’obligation de protection des riverains. Il résulte cependant de l’instruction que les distances de 5 mètres et 10 mètres sont les distances minimales préconisées par l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, et que la distance de 20 mètres retenue pour l’utilisation de certains produits est le double de la distance minimale préconisée pour ces produits par le même avis. Il résulte également des termes de cet avis comme des échanges lors de l’audience de référé que, d’une part, plusieurs études et travaux d’évaluation sont en cours sur ce sujet en France comme à l’étranger et, d’autre part, les autres États membres de l’Union européenne n’imposent pas à ce jour de distances de sécurité d’application générale supérieures à celles prévues par l’arrêté contesté.

 

11. En second lieu, l’intérêt qui s’attache à l’adoption par les maires au titre de leur pouvoir de police générale des mesures nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques ne saurait suffire à établir l’urgence à suspendre l’arrêté contesté, dès lors que ce pouvoir de police générale doit s’exercer dans le respect des dispositions législatives qui confient au ministre un pouvoir de police spécial en la matière.

 

12. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence prévue par l’article 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie.